LES « AGUDA » (AFRO-BRÉSILIENS)
DU GOLFE DU BÉNIN

Les Aguda que l’on désigne également sous le nom d’Afro-Brésiliens sont une communauté composite comprenant des descendants d’anciens négriers portugais ou brésiliens ainsi que des descendants d’anciens esclaves africains revenus du Brésil à partir de 1835.

Le terme « Afro-Brésilien » désigne l’ensemble des Africains déportés au Brésil dans le cadre de l’économie de traite négrière, comme l’appellation « Afro-américain ». Il est employé pour qualifier certains d’entre eux qui retournèrent en Afrique et formèrent une communauté originale, encore présente aujourd’hui.

Le qualificatif « afro », est censé renvoyer à une origine commune, continentale, même si ladite population ne se réfère guère à cette identité de nature géographique, qui a d’abord un sens pour ceux qui sont extérieurs à ce continent. Malgré des traits raciaux communs avec les habitants des côtes africaines, cette population s’en différencie à bien des égards, notamment par des pratiques culturelles et sociales acquises au Brésil. D’ailleurs, pour bien se différencier des autochtones, qui les qualifieront de « Brésiliens ou d’Agouda », ils se dénommeront souvent « Créoles ». L’habitat sera également un moyen d’affirmer leur singularité.

Quelques repères chronologiques :

 

Typologie des Aguda

 

1 – Les descendants de négriers

Si des relations privilégiées sont établies entre le Brésil et la Côte des Esclaves, les autres nations n’en sont pas pour autant exclues. La diversité des origines est confirmée par l’architecture.

La famille de Souza

Son fondateur est Francisco Felix de Souza, originaire du Brésil, de père portugais et de mère amérindienne. Il s’installe sur la Côte des Esclaves aux alentours de 1800 et est considéré au XIX° comme un des plus grands négriers de la Côte.

Ses enfants s’installent également dans les autres cités côtières. La maison d’Ezechiel de Souza, petit fils du Chacha, à Aneho est une maison de commerce à étage comportant au rez-de-chaussée des boutiques et un appartement à l’étage. A Porto Novo, les descendants de Souza possède également une maison de plain pied.

Les descendants d’Ollivier de Montaguère

Directeur du fort français de Ouidah dans le dernier quart du XVIII° (1775/1786), Ollivier de Montaguère épouse selon la coutume locale une mulâtresse et prend une deuxième épouse d’origine Adja. Il aura de son premier mariage deux fils, Nicolas et Jean Baptiste qui seront éduqués à Marseille et de la seconde union un fils Joseph. En 1793, Ollivier de Montaguère rentre en France où il meurt quelque temps plus tard. Son fils Nicolas retourne à Ouidah où il construit une grande maison sur le terrain de son père. Ami de Francisco Felix de Souza, il devient cabécère, et est appelé par les Portugais de Ouidah, Nicolas d’Oliveira.

Cette famille illustre les relations privilégiées établies dans l’élite commerciale et politique africaine au cours des XIX° et XX° siècles. Le nom apposé sur la façade de la maison fait référence à Ollivier de Montaguère et à Achille Féraud, fonctionnaire colonial.

La famille Trezise

Trezise, originaire du Pays de Galles, vient d’abord s’installer à Aneho. Son fils se marie à Aneho avec Ayokodjin, fille de Apeto Ayi Pedro Felix d’Almeida qui donne naissance à Clara et Francesco Trezise. Ce dernier s’installe à Lagos et construit deux maisons dans le quartier brésilien de Lagos Island en 1864. La maison de façade en rez-de-chaussée surélevé couvre une cave dans laquelle étaient entreposés les esclaves lors de la traite illégale.

2 – Les natifs « adoptés » par les capitaines et les commerçants étrangers

La famille d’Almeida

Plusieurs branches d’Almeida existent sur la Côte. Il est donc important de savoir à quelle ville ou à quel fondateur se rattache le nom pour déterminer l’origine des familles. La famille d’Almeida d’Aneho dont il est question ici, est originaire d’Aneho. Le père d’Apeto Ayi Pedro Felix d’Almeida s’appelait Ayité Kissè et son grand-père Ayi Manko. Proche de la famille de Souza, le fondateur ; il est le fils de la sœur de la deuxième épouse de Francisco Félix de Souza, princesse de Glidji. Ayi dont la mère meurt en couches, est recueilli par Chacha 1er. Vivant dans la maison, sans bénéficier de la même éducation que les enfants de Souza, il apprend néanmoins à lire. Francisco Felix de Souza découvrant l’intelligence du garçon, l’adopte et lui donne le nom de Pedro Felix Ayi d’Almeida du nom de son ami portugais d’Almeida, mort sans avoir laisser de descendance.

Les Lawson d’Aneho

L’origine de la dynastie des Lawson, actuels rois d’Aneho, remonte au royaume de Glidji, situé à l’intérieur des terres près de la lagune d’Aneho. Au temps de la traite négrière, les bateaux commencèrent à établir des relations commerciales avec le royaume de Glidji. Un jour, un capitaine négrier anglais demanda au roi de Glidji de lui donner un de ses fils afin de l’éduquer en Angleterre. Devant le refus de ses femmes qui craignaient que leurs fils ne deviennent esclaves, le roi confia Awoku, un de ses neveux (fils d’une de ses sœurs) au capitaine négrier. Awoku resta quinze ans en Europe où il apprend le commerce. De retour à Glidji, celui-ci demande au roi l’autorisation de s’installer sur la plage d’Aneho et s’occupe des transactions avec les capitaines négriers. A son tour, il envoie son fils, Akwete,  en Angleterre où celui-ci reste environ dix-huit ans. A son retour, Akwete prend le nom de son bienfaiteur George Law ou Lawson et reprend les activités de son père sur la Côte. Alors survient un conflit avec les chefs fantis installés à Aneho qui donne lieu à la guerre de 1821, qui aura pour conséquence la prise de pouvoir des Lawson sur Aneho et la fondation de la dynastie des Lawson.

3 – Les afro-brésiliens

La famille Marcos

José Marcos est un des premiers afro-brésiliens à revenir du Brésil. D’après sa petite fille, âgée de 88 ans aujourd’hui, il serait revenu à Porto Novo car ses enfants mourraient en bas âge au Brésil. Sachant que dans son pays d’origine, les savoir-faire traditionnels pouvaient faire vivre ses enfants, il décide de revenir en Afrique. Il accoste d’abord à Ouidah, puis rejoint Porto Novo en pirogue où il acquiert auprès du roi des terrains qu’il paie en cauris. Il achète ainsi des terres depuis Avassa jusqu’à Djassin. Ami du roi Toffa, ce dernier l’appelait « Grand Père ».

Converti à l’islam (son nom musulman étant Idriss), il favorisa l’installation des afro-brésiliens, des yorubas et des français à Porto Novo auxquels il cédait des terres. Par ailleurs d’Albecca note au sujet de la communauté musulmane de Porto Novo dans « les établissements Français du Golfe du Bénin » paru en 1889 : « ils ont des factories et tiennent souvent en échec des maisons européennes. Les José Marcos, Ignacio Paraiso, Bakari, etc… sont des notables, riches, considérés et très prisés du roi indigène Toffa, auquel ils prêtent de l’argent. »

La famille Paraiso

Esclave affranchi du Brésil, Bambero Paraiso revient à Porto Novo suite à la révolte des Malais de 1835 à Bahia à laquelle il aurait participé d’après Mr da Silva, descendant de Bambero du côté maternel. L’histoire de Bambero n’est pas clairement établie et les descendants en offrent des versions différentes. Toujours est-il que Bambero Paraiso s’installe dans une maison en terre de barre dans le quartier Odo Oba de Porto Novo. Il devient «  lari » du roi, fonction qui sera transmise à son fils Ignacio. Ignacio se fit construire une maison de plain pied de style afro-brésilien qui est devenue aujourd’hui la maison familiale. Les meubles qui y figuraient ont été transportés au Musée da Silva.

Da Rocha

Personnage très connu à Lagos Island pour son immense richesse et la maison appelée Water House qu’il construisit à Kakawa Street, Candido da Rocha était également un esclave affranchi brésilien. Celui-ci s’installe à Lagos où il acquiert sa richesse grâce à un puits d’eau douce dont il vend l’eau. Il possédait un carrosse et des chevaux.

Un jardin suspendu était aménagé sur la terrasse couvrant la maison.

La famille Campos

Esclave affranchi revenu du Brésil, Ramon Campos était très connu à Lagos, « Papae Campos » et a laissé son nom à une place dans le quartier brésilien de Lagos Island. Il  fabriquait et vendait des masques pour les carnavals brésiliens qui avaient lieu les 25 décembre, 1er janvier et à Pâques.

Caractéristique des afro-brésiliens, cette famille illustre les liens établis entre les différentes communautés de la société africaine. En effet, la descendante de Ramon Marcos occupant aujourd’hui la maison, porte le nom de Cynthia Coker et fait référence à un deuxième groupe d’esclaves affranchis revenus s’installer dans leur pays d’origine, les Sierra Léonais ou Saros.

4 – Les Sierra-Léonais ou les Saros

Capturés et vendus comme esclaves aux bateaux négriers, après l’abolition de la traite, les sierra-léonais n’ont jamais connu le Brésil. Leurs bateaux arraisonnés par les patrouilleurs anglais au large des côtes africaines, ces esclaves affranchis étaient débarqués en Sierra Leone et confiés à des missionnaires protestants. Ce n’est souvent qu’après plusieurs années passées dans les écoles missionnaires de Sierra Leone  qu’ils reviennent dans leurs pays et cités d’origine.

La famille Doherty

Originaire d’Ilaro, cette famille possède plusieurs maisons à Lagos Island. Capturé lors des batailles entre Abomey et les royaumes egba et egbado, le fondateur de la famille, Henri Théodore Doherty est vendu comme esclave, débarqué en Sierra Leone où il est éduqué par les missionnaires. De retour à Lagos au milieu du XIX°, il se serait d’abord consacré au commerce des esclaves d’après ses descendants.

Son fils Josiah Henry  Doherty a construit la maison de Campos Square. Né à Lagos en 1866, il apprend le commerce en travaillant d’abord chez des commerçants, puis il se lance à son propre compte dans les années 1890. Ses fils seront éduqués, l’un en Angleterre, l’autre au Fourah Bay College en Sierra Leone.

La maison de Theophilus Adebaya Doherty, son fils éduqué en Angleterre, avocat à Lagos, a été construite en 1925.

La famille Macaulay

Originaire de Sierra Leone, cette famille installée à Lagos s’est illustrée dans diverses activités, commerciales, religieuses et éducatives. En effet la première école secondaire du Nigeria fut fondée par cette famille. Herbert Macaulay fit bâtir dans le quartier brésilien de Lagos Island une maison à deux étages et est reconnu comme un grand nationaliste.

5 – Les autres esclaves affranchis

Si la majorité des esclaves affranchis sont originaires du Brésil et de Sierra Leone, il existe néanmoins d’autres origines d’exil.

La famille Vaughan

J.C. Vaughan, citoyen américain, originaire de Camden en Caroline du Sud établit un commerce à Lagos en 1873 et fut un des piliers de l’église Baptiste de Lagos. Ce commerce sera repris par son fils en 1893, J. W. né en 1866 à Abeokuta.

6 – Les colons et fonctionnaires coloniaux

La famille Rhodes

La maison Monte Cristo à Aneho a été construite dans les années 1920-30 par le père de l’actuel propriétaire. Magistrat ayant fait ses études à l’étranger, il construisit cette maison d’un modèle tout à fait original. D’après les descendants de cette famille, le fondateur serait Cecil Rhodes, fondateur de la colonie du Cap en Afrique du Sud. Lors de ses différents voyages en Afrique qu’il entreprit dès l’âge de 17 ans, il se serait d’abord arrêté à Aneho où il aurait fondé une famille. Cette famille est également associée à la famille Rhodes de Lagos.

La famille Béraud

La famille Béraud de Porto Novo est probablement une des familles les plus caractéristiques des métissages et des relations établies entre les différents groupes culturels présents sur la Côte des Esclaves.

L’occupante actuelle de la maison est fille d’Achille Béraud, commerçant de Ouidah, fils de Médard Béraud, consul de France à Ouidah et d’Antoinette Brun, mulâtresse. Son père Achille Béraud fit ses études au King’s College de Lagos et épousa Candida de Meideros, fille de Francisca de Souza, (elle-même fille de Francisco Felix de Souza) et de Francisco José de Meideros (capitaine de bateau portugais dont les activités étaient la traite négrière et le commerce de l’huile de palme avec Cuba et le Sud des Etats Unis).

Lors de la conquête d’Abomey, Achille Béraud est enrôlé dans l’armée française et protège Porto Novo de l’avancée des Aboméens sur la ville. En signe de reconnaissance, Toffa, lui offre une maison de plain pied de style afro-brésilien dans la ville et lui demande de s’installer à Porto Novo.

7 – Les natifs

La famille Migan

Le Migan est conseiller du roi de Porto Novo, chargé de faire respecter les ordres et assume également la mission de bourreau. La famille Migan a établi plusieurs maisons de commerce et d’habitation à Porto Novo. Les notables du royaume participaient aux activités commerciales des cités côtières.

La famille Akerele

Installée à Lagos, la famille Akerele est issue de la famille royale d’Oyo, particulièrement du  « Chief Balogun » d’Oyo, troisième commandeur du royaume. Les Lisas de Lagos (chef des chefs de Lagos) sont choisis dans cette famille. L’actuel Lisa de Lagos est Babs Akerele. La famille a également établi des liens matrimoniaux avec la famille Perreira d’origine afro-brésilienne, et la famille Wilson d’origine Sierra-Léonaise.

La famille Tinubu

Très représentative de la société et de l’histoire de Lagos, le personnage central de cette famille est probablement Mme Tinubu, grande commerçante d’esclaves originaire d’Abeokuta. Citée par le Père Borghero comme la “ reine d’Abeokuta ”, expulsée de Lagos par le consul anglais Benjamin Campbell en raison de ses activités de traite, elle devint pour les lagosiens, le symbole de la résistance à la colonisation anglaise. Par ailleurs, les origines métissées de cette famille reflètent les relations établies entre les différentes communautés, sur la base d’une coopération et entente commerciale. En effet, la famille est alliée aux Alakija, esclave affranchi revenu du Brésil, aux Assumpçao et enfin aux King, originaire de Sierra Leone et commerçant à Lagos.

La famille Ajavon

Originaire d’Aneho, l’ascendance remonte à Ayi Manko, comme les d’Almeida d’Aneho. Les deux familles sont deux lignées d’Ayi Manko. Ayi Ajavon a vécu à Aneho après un passage à Ouidah, où se sont installés certains de ses fils. La famille Ajavon a fait construire plusieurs maisons de commerce à Ouidah et à Grand Popo.

8 – Le cas de Badagry

Décrite par les frères Lander en 1832 et en 1846 par Allen, Badagry se divisait en quatre districts : le district anglais, le district français, le district allemand et le district portugais. Actuellement il ne reste aucune trace d’une occupation européenne cependant l’étude des maisons afro-brésiliennes se révèle très intéressante pour définir les installations successives dans la cité.

L’Akran de Badagry

Roi de Badagry, l’Akran est originaire de l’Ouémé. Les descendants conservent les reliques du roi Aquanou, cabecère portugais, ainsi que des fers d’esclaves. La présence de ce bâton de cabeceire à pommeau d’argent décoré de fleurs de lys portant l’inscription « cabeicera portuguez Badagry » confirme les écrits des frères Lander quant aux relations privilégiées entretenues par les différents chefs coutumiers et les nations étrangères pratiquant le commerce sur la côte.

Le Possu

Chef coutumier, « Possu » signifie panthère mâle et évoque la lignée « Aja Tado ». Le Possu est un représentant du royaume d’Abomey. Egalement lié à la traite négrière, le Possu conserve les insignes royaux d’Abomey. Plusieurs maisons  de style afro-brésilien appartenant à la famille ont été construites à Badagry dont le Wheta Palace of the Possu of Badagry.

Les Mobee

Autre chef coutumier, la lignée a été fondée par Boe, venu de Ouidah au XVIII°. Les descendants ont fondé un musée de l’esclavage avec les reliques familiales. Par ailleurs le chef Sunbu signa avec les anglais le traité de cessation de la traite négrière au milieu du XIX° siècle. La famille possède également plusieurs maisons de style afro-brésilien à Badagry.

Alafia

Significatif des dernières migrations sur Badagry, Alafia de son vrai nom Subaru est originaire d’Oyo. Il s’installe d’abord comme tailleur à Badagry puis se livre au commerce des dérivés de palme. Le peuplement yoruba de Badagry semble plutôt lié aux nouvelles activités commerciales introduites par la colonisation et semble tardif, du XIX° jusqu’au milieu du XX°. On assiste au même phénomène à Porto Novo.

 

Sources diverses: